Algorithmes prédictifs : quel futur pour les assurances obsèques ?

Les passionnés d’IA et de nouvelles technologies n’auront certainement pas ignoré l’information : Google vient une nouvelle fois de marquer les esprits avec son programme capable de définir les probabilités de décès d’un malade. Si cette prouesse risque fort de révolutionner le monde hospitalier à plus ou moins longue échéance, elle pourrait également à terme avoir des effets dans l’univers des assurances … et pas forcément des meilleurs. Explications.

Prédire les décès : une tendance technologique

En cette fin juin 2018, les journaux se font l’écho des nouvelles avancées accomplies par Medical Brain, l’équipe de Google investie dans la recherche portant sur l’univers des soins, un marché que la firme de Menlo Park veut résolument pénétrer depuis quelques années. Parmi les champs d’investigation, un algorithme capable d’établir les chances de survie d’un patient hospitalisé … et ses risques de décès. L’outil vient de faire ses preuves, évaluant à presque 20 % le potentiel trépas d’une cancéreuse tout juste hospitalisée, là où les méthodes habituelles plaçaient le curseur à 9,3 %. Or c’est l’algorithme « Googlien » qui a vu juste : la patiente s’est éteinte quelques jours après avoir été prise en charge.

Un coup de tonnerre ? Pas vraiment. Cela fait maintenant plusieurs années que des laboratoires de recherches fleurissent un peu partout aux USA et dans le monde pour explorer les capacités prophétiques des intelligences artificielles. Cela va du gadget permettant de savoir ce qu’une personne va préparer à manger uniquement à partir de ses gestes en cuisine au programme visant à cerner les menaces de récidives chez un condamné. Le domaine de la santé offre un champ énorme de potentialités, qu’il s’agisse de détecter une maladie à venir (par exemple certains algorithmes cherchent à dénicher une éventuelle psychose via l’analyse du discours), de déterminer les soins à apporter au mieux pour soigner une affection …

Un marché juteux et convoité

Les perspectives sont nombreuses et très attendues, dans une société où les soignants manquent cruellement, où les lits et les moyens se raréfient, où la santé, quantifiée et privatisée, est source d’un business féroce. Les acteurs du secteur médical ne s’y sont pas trompés. Déjà en 2015, le Beth Israel Deaconess Medical Center, hôpital universitaire situé à Boston et rattaché à la Harvard Medical School, testait un ordinateur capable, à partir de l’analyse des données délivrées par les dossiers des patients, de fixer leur date de décès avec une exactitude surprenante. Début 2018, la Food and Drugs Administration approuve l’usage du système Wave Clinical Platform, élaboré par l’entreprise Excel Medical spécialisée dans les nouvelles technologies de soin : ici aussi, il s’agit d’un algorithme prédictif captant les signes de décès imminent d’un malade.

On l’aura compris, la toute récente annonce de Google intervient dans une course à la recherche pour dominer un marché très juteux, mais dont les dérives potentielles font véritablement peur.

En effet, si l’objectif premier de ces programmes est d’anticiper la mort d’un patient pour l’éviter en réagissant plus vite, en adaptant les traitements, rien ne dit que ces résultats ne serviront pas à trier les individus en souffrance en fonction de leurs chances de survie, et d’abandonner ceux dont le risque de décès est important(méthode déjà pratiquée par la médecine de guerre ou lors des attentats et des catastrophes).

La médecine, nul ne l’ignore, est actuellement en voie intensive de privatisation, l’État américain se désengageant progressivement de structures dont il estime les coûts trop lourds … une tendance qui se généralise de par le monde, en Europe et en France notamment. L’usage de pareils outils n’amènera-t-il pas à laisser sans traitement des malades condamnés par les algorithmes, donc jugés peu rentables ?

Après la santé, les assurances obsèques ?

Autre point à souligner, ce type de programmes peut aussi intéresser d’autres secteurs d’activité, notamment la banque et les assurances, plus spécifiquement les assurances obsèques. Les assureurs spécialisés ont tout intérêt à miser sur une clientèle en bonne santé, qui cotisera plus longtemps donc.

Certes, pour l’instant, la majorité des contrats obsèques peuvent être conclus sans examen médical ni questionnaire de santé ; une simple déclaration sur l’honneur suffit (parfois) qui certifie la bonne vitalité du signataire … qui peut par la suite déclarer une maladie grave et foudroyante. Les assurances peuvent alors refuser le versement des capitaux aux bénéficiaires, sous prétexte que l’assuré a menti sur son état de santé au moment de contractualiser.

Or, avec un algorithme prédictif, c’est en amont que la sélection pourrait se faire, amenant certains candidats à être éjectés du processus parce que considérés à risque. N’oublions pas que les conditions générales des contrats prévoyance obsèques sont déjà truffées d’exclusions et de délais de carence : l’assurance n’est pas viable en cas de suicide dans certains cas, si la mort est consécutive à un attentat, une guerre, une attaque chimique ; certains produits sont inefficaces s’il y a eu meurtre.

Les délais de carence d’un an ou plus ne sont pas rares s’il y a eu mort par maladie. Bref, rien ne dit qu’on n’inscrira pas un jour dans ces directives le taux de risque de décès minimum, mesuré par un algorithme prédictif certifié par les autorités et les professionnels.

Nous n’en sommes fort heureusement pas encore là : les algorithmes de ce type sont encore imprécis, reposent sur l’exploitation de données médicales et personnelles dont l’accès est juridiquement et déontologiquement protégé, secret médical oblige. Il faudrait par ailleurs l’autorisation officielle du souscripteur pour y accéder, ce qui est impossible si l’intéressé ne donne pas un accord signé.

Néanmoins, à l’heure où de plus en plus de personnes se tournent vers la prévoyance obsèques pour financer des funérailles toujours plus onéreuses et soulager les familles, il convient de demeurer vigilant et de s’interroger sur les éventuels usages de ce type d’outil et ses retombées, qu’il s’agisse d’accès aux soins ou à un enterrement décent.

Sources et références :

  • https://www.bostonmagazine.com/health/2015/10/30/beth-israel-supercomputer/
  • https://iatranshumanisme.com/2018/01/25/la-fda-a-approuve-un-algorithme-qui-predit-la-mort/
  • https://www.digitaltrends.com/cool-tech/fda-approval-life-saving-algorithm/
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